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4.4.05

Amazonie(in Le Courrier International)

L'invité


FERNANDO GABEIRA - On peut encore sauver l’Amazonie


Fernando Gabeira, 63 ans, a été élu député fédéral en 1994 pour le parti vert brésilien, dont il est le fondateur. Il est connu pour son combat en faveur de la dépénalisation de l’avortement et de la reconnaissance des droits des homosexuels.

Une trouvaille récente a réveillé en moi une certaine nostalgie de l’Amazonie. Au fond d’une armoire, j’ai retrouvé plus de 200 diapositives des rencontres d’Altamira, qui avaient réuni des participants du monde entier en février 1989 dans l’Etat du Parà. Il y avait là le chanteur Sting, Anilda Roddick, fondatrice du réseau Body Shop, des Indiens et des seringueiros [ouvriers indigènes des exploitations d’hévéa] en lutte contre la construction de l’usine de Kararaó, l’un des combats à l’ordre du jour. Les répercussions de l’assassinat du leader écologiste Chico Mendes [en décembre 1988] avaient fait de l’Amazonie un endroit stratégique. Un groupe de sénateurs américains, dont Al Gore, avait alors visité la région. Ils avaient paru sincèrement intéressés, désireux de contribuer à la sauvegarde de la forêt tropicale. Puis la vague de sympathie pour l’Amazonie a reflué. Le sujet a été rangé dans les tiroirs des causes importantes mais passées. Mais la vague n’était pas passée en vain. La Banque mondiale a consenti à s’intéresser à la préservation de l’Amazonie, et de grandes ONG internationales s’y sont installées. En 2002, l’ancien président Fernando Henrique Cardoso a créé le Parc national de Tumucumaque (3,8 millions d’hectares), le plus grand au monde. Quelques années auparavant, le SIVAM (Système de vigilance de l’Amazonie), un équipement de haute technologie d’un coût de 1,4 milliard de dollars, avait été activé afin de mieux surveiller la région. Enfin, lors de la prise de pouvoir du président Lula, en 2002, Marina Silva, compagne de Chico Mendes et autorité morale capable d’obtenir un large accord sur le développement durable, a été nommée ministre de l’Environnement.
Fin 2003, après avoir analysé les possibilités d’action en Amazonie, je me suis concentré sur un problème au cœur des tensions : le goudronnage d’un tronçon de la route amazonienne BR 1639, reliant Cuiabá à Santarem et ouvrant ainsi l’accès à la Terra do Meio [région de l’Etat du Parà en pleine déforestation et où a été assassinée en février la missionnaire écologiste américaine Dorothy Stang]. La Terra do Meio est une zone de plus de 8 millions d’hectares (l’équivalent de l’Autriche) encore préservée et située entre les rivières Xingu et Tapajós. Mes rencontres, à Brasília, avec les élus régionaux m’ont montré la priorité de sauver cette région qui pourrait devenir emblématique d’une gestion réussie de l’Amazonie. Le gouvernement a sous-estimé les conséquences de la construction d’une route dans cette région. [Construite pour désenclaver économiquement la région, elle ouvre aussi la possibilité aux multinationales du bois d’accéder facilement à la forêt.] Il est temps de réhabiliter le SIVAM, dont les puissants moyens électroniques servent actuellement davantage à la lutte contre le trafic de drogue qu’à la protection de l’environnement. La Banque mondiale est toujours intéressée par le développement durable de l’Amazonie. La construction d’une route de façon négociée pourrait permettre à Lula de coordonner des efforts internationaux sur place. Mais ces possibilités se heurtent à la résistance de certains secteurs politiques. J’ai senti, dans les débats que j’ai présidés, que le problème de l’Amazonie touchait à la question de la souveraineté nationale. Pour beaucoup, un désert national serait préférable à une forêt menacée par des forces extérieures ! Une caricature possible si l’on ne place pas clairement la défense des diversités biologiques et culturelles de l’Amazonie au cœur d’une politique nationale de sécurité.
L’attention concernant la Terra do Meio retombe déjà. Peut-être serons-nous considérés dans le futur comme ceux qui possédaient une forêt trop étendue pour être capables de la développer intelligemment. Et pourtant les dés n’ont pas tous été lancés. Avec le soutien de la Banque mondiale et un gouvernement personnellement impliqué, nos chances de réussir sont sérieuses.