THINGS WHICH MUST BE DISSEMINATED

Pulse Media

6.4.05

Rang-A-Rang TV, l’ennemie des mollahs iraniens (in CI)

La petite chaîne satellitaire, qui émet depuis les Etats-Unis, entend bien renverser le régime de Téhéran. Grâce à ses animateurs engagés, elle a déjà fait descendre des milliers d’Iraniens dans la rue. En attendant le grand jour…


La prochaine révolution iranienne est en train de naître dans un centre commercial de McLean, en Virginie. “Nous allons changer le régime !” annonce le prophétique Ahura Pirouz Khaleghi Yazdi. “Cela se fera très vite.” Il serait simple de se désintéresser de cet homme. De se dire qu’il est insensé de s’en prendre à l’un des régimes que le président Bush a accusés dans son discours d’investiture de maintenir“des régions entières du monde […] plongées dans la haine et le ressentiment”. Mais la liberté est la raison d’être de cette chaîne idéaliste qui fonctionne 24 heures sur 24. Dans des studios de 900 m2, Rang-A-Rang TV – dont le nom pourrait se traduire par “Réseau original d’opinions” – diffuse une gamme de programmes incluant aussi bien une émission de débats politiques en farsi qu’un magazine automobile ou le talk-show d’un rabbin iranien. La mission de la chaîne est toutefois singulière, ainsi qu’en témoignent les exhortations lancées trois fois par semaine par Yazdi dans son émission Real World.
Depuis l’an dernier, celui-ci apparaît assis à une table de conférence drapée de velours noir, éclairée par des bougies et parsemée de fleurs en tissu. Le drapeau iranien d’avant la révolution est placé à son côté, et une planète Mars rougeoyante occupe parfois tout l’arrière-plan. Avec ses douze lignes téléphoniques clignotantes, il répond aux téléspectateurs en prônant un retour à l’“ancien mode de vie des Perses”, fondé sur la philosophie zoroastrienne, qu’il résume par la formule “Bonnes pensées, bonnes paroles, bonnes actions”.Yazdi a 60 ans et se présente comme un expert en aviation qui a participé à la fondation de la compagnie Air Iraq, avant de la céder au roi de Jordanie. Né d’un père iranien et d’une mère kurde, il a grandi en Europe et n’a passé en Iran que les étés de son enfance. Il dit pourtant se sentir étroitement lié aux habitants de ce pays. “Je ressens leur douleur. Leurs difficultés. Je les plains. Et c’est mon destin de faire quelque chose.” Il est si inquiet, ajoute-t-il, que, même s’il a encouragé des “milliers” d’Iraniens à descendre dans la rue l’automne dernier, il les a également engagés, comme l’aurait fait Gandhi, à résister pacifiquement. “Apportez des fleurs, des chocolats et autres sucreries, a-t-il recommandé, de sorte que, si des policiers interviennent, vous puissiez leur en donner en disant : ‘Je t’aime. Tu es mon frère.’” Quoi qu’il en soit, la Voix de l’Amérique a présenté le rassemblement de septembre comme “une manifestation exceptionnelle en faveur de la démocratie”. La BBC, Reuters, The Economist et le Financial Times ont également couvert l’événement.
“Ah ! Ce docteur Yazdi !” s’exclame l’ancien chanteur Zia Atabay, qui a fondé à Los Angeles la chaîne National Iranian TV [voir CI n° 661, du 3 juillet 2003], se moquant de la manière dont Yazdi a promis aux téléspectateurs d’affréter plusieurs dizaines d’avions pour partir le 25 septembre fêter en Iran la fin du régime. Au dire d’Atabay, il “a fait croire aux gens que la CIA, le FBI et l’armée américaine l’accompagneraient”. Yazdi a commencé par repousser la date au 1er octobre, puis il a informé son public qu’elle était reportée sine die en raison de complots dont il était la cible.
Pourtant, “les chauffeurs de taxi, les femmes au foyer et les commerçants ne parlent pratiquement plus que de cela”, écrivait à l’époque le Financial Times. Quant à la BBC, elle observait que les idées simplistes de Yazdi sur un renversement du régime islamique sans aide extérieure avaient également irrité les leaders de l’opposition en exil, qui reprochaient au présentateur d’être un“démagogue”. Pour Atabay, cette affaire montre simplement à quel point les Iraniens sont désespérés. “Il faut penser au peuple,explique-t-il. Je ne parle pas des étudiants, des hommes politiques, des gens aisés et instruits, mais des citoyens ordinaires : ils sont tellement désespérés et las du gouvernement en place que, même s’ils savent que cette histoire n’est pas vraie, ils veulent y croire.”

Une chaîne qui vit des dons et de la vente de tapis

Selon Davar Veiseh, propriétaire de la chaîne Rang-A-Rang, Yazdi a fait des promesses impossibles à tenir. “Pour moi, c’était prématuré”,dit-il. “La principale raison d’être de Rang-A-Rang est un changement de régime”, poursuit son directeur, Mohammad Sehat. Celui qui se fait appeler Mo a quitté l’Iran à l’âge de 14 ans et conserve le léger accent britannique qu’il a acquis dans un pensionnat de Blackheath. Avec Veiseh, il est prêt pour la révolution. “C’est ce qui absorbe toute notre énergie”, explique Sehat, assis devant un bureau vide avec une agrafeuse, une perforatrice et deux ordinateurs noirs pour tout matériel. On dirait un comptable. A ses pieds, des boîtes à chaussures débordent de papiers. “Quand on se prépare à accomplir quelque chose de dangereux et d’important”, s’écrie Veiseh d’une voix tonitruante, “on se sent l’âme d’un soldat.” Il est le visionnaire, le missionnaire de la chaîne. Il travaille en tandem avec Yazdi pour semer les graines de la révolution, tandis que Sehat, très BCBG dans son pull à col en V et sa chemise Oxford à rayures bleues et blanches, s’occupe du branchement des ordinateurs et contrôle les factures, de plus en plus élevées.
Rang-A-Rang est une chaîne satellitaire qui peut être captée en Amérique du Nord, en Europe, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient par un public estimé à 80 millions de personnes. Et même si les producteurs de la chaîne n’ont aucune idée de leur chiffre d’audience, ils disent recevoir quelque 5 000 appels de téléspectateurs par semaine. Les frais de fonctionnement de la chaîne s’élèvent quant à eux à 20 000 dollars [15 000 euros] par mois, dont la moitié est représentée par le loyer. Les revenus proviennent de publicités d’entreprises iraniennes qui soutiennent la chaîne, de la vente de créneaux horaires à des producteurs et des tapis écoulés lors d’une émission nocturne de téléachat. Les autres recettes proviennent de dons. “Les gens nous appellent en s’écriant : ‘On vous aime, on va vous soutenir’”, explique Davar Veiseh. Il ne précise pas qui sont ces gens ni combien ils donnent. Mais, lorsqu’on lui demande si une partie des fonds vient des services de renseignements américains, Mohammad Sehat se montre plus bavard. “Nous voulons que la liberté et la démocratie règnent en Iran. Mais il faut être réaliste. Cela demande des fonds. Tous ceux qui nous proposent de nous aider à atteindre cet objectif sont les bienvenus”, confie-t-il.
Dans les studios de Rang-A-Rang, où des tapis persans recouvrent le sol et d’autres tapissent les murs en attendant d’être vendus, Sehat et Veiseh repensent à tout ce qu’ils viennent de dire. “Ça peut avoir l’air… d’un rêve”, commence Sehat, l’air sincère. “Des châteaux en Espagne. Mais nous sommes persuadés qu’avec le soutien adéquat et les ressources nécessaires nous pouvons réussir.” Conclusion de Veiseh : “Nous pouvons vraiment représenter une menace pour le gouvernement iranien.”


Darragh Johnson
The Washington Post